Pierre Bourgain sculpteur

C’est dans un village du Languedoc, entre mer et Cévennes, encore épargné par l’urbanisation, que j’ai connu Pierre Bourgain. En cette année 1975 il semblait arrivé là avec sa compagne un peu par hasard. Sortant d’une formation de tailleur de pierre et s’était fait embaucher chez un carrier tout proche. Je le revois encore, rentrant après sa journée de travail, blanchi de la tête aux pieds par la poussière de pierre et trainant derrière lui un fagot de bois sec pour une veillée devant la cheminée. Très vite il a trouvé dans le village un petit local qu’il a aménagé sommairement en atelier. Du fait de la proximité des carrières, le calcaire tendre s’offrait à volonté. Des blocs de toutes tailles qu’il savait choisir et déplacer. Il était parvenu à tisser des liens avec des professionnels du lieu, artisans, compagnons, sculpteurs. C’est là que tout pourrait avoir commencé pour lui.

Dans le petit atelier, les blocs se sont accumulés au gré des découvertes. Certains, avaient trouvé leur place sur des trépieds massifs et laissaient apparaitre des formes naissantes, d’autres semblaient mis de côté, « J’attends que ça mûrisse » disait-il d’un ton assuré. Dans son travail en taille directe il laissait la main et le ciseau s’affronter à la matière sans intention préalable , comme s’il s’agissait d’une improvisation En échangeant sur son travail, j’avais bien compris que, pour lui, l’essentiel résidait dans la maîtrise de ces trois éléments, la matière, la main et l’outil. Travailleur manuel avant d’être artiste, il considérait que c’est en «fouillant» longuement dans cette matière brute que devait surgir la forme aboutie. C’est ce cheminement qui l’a probablement guidé dans la réalisation en calcaire de Tavel, remarquable par sa hardiesse, de l’autel et des fonds baptismaux de l’église de Saint Drézéry (Hérault). Désormais il semblait avoir clarifié les bases de ce que seraient les fondements de sa démarche artistique. Son intention primitive, à laquelle il restera longtemps fidèle tout en s’enrichissant au fil du temps de découvertes nouvelles.

Arrivé là, Pierre Bourgain a souhaité se donner un peu de champ comme pour répondre à un appel vers des ailleurs. Se défendant de vouloir se donner des objectifs de carrière. Ce terme ne fait pas partie de son habitus, il éprouvait le besoin de « prendre le temps d’élaborer son questionnement et construire son discours » sur le sens à donner à sa fonction d’artiste. Il est entré en pleine conscience dans une longue période de nomadisme durant laquelle, sans pour autant laisser dormir ciseaux et massette, il est allé de région en région, multipliant les expériences professionnelles souvent éloignées de la sculpture et se lestant de tout ce que lui apportaient ses rencontres et ses découvertes. Souvent contraint à la précarité matérielle, qui le portait à se définir comme « artiste prolétaire », il se donnait ainsi les moyens de poursuivre l’exploration de sa fonction d’artiste sans s’appuyer sur un statut encadré. Nouvelles cultures, nouveaux savoir-faire, nouveaux outils, nouveaux horizons aussi; une quête tout azimut soumise à une seule exigence : faire en sorte que chaque étape soit féconde.

La Bretagne natale. Après les arides terres calcaires du Languedoc méditerranéen et du plateau du Larzac, Pierre Bourgain ne pouvait qu’apprécier ce retour aux racines, avec sa confrontation avec le granit sous l’influence de la magie des lieux. Les références aux sirènes et autres personnages imaginaires énigmatiques sont nombreuses et étonnamment vivantes au point qu’il est difficile pour un sculpteur d’éviter d’y faire référence. C’est dans son atelier installé dans l’école désaffectée de son nouveau village d’accueil Tréflévenez qu’il crée notamment, sur commande, « Le monument fantastique » de Hanvec taillé dans un bloc de granit de Kersanton, une roche très appréciée des sculpteurs bretons. Une étape importante pour lui car le commanditaire* a acquis aussi « l’homme à la corne » pour en orner sa sépulture.

Le passage en Val de Loire. La forêt de Chambiers était toute proche de son nouveau lieu de vie. L’environnement était donc propice à une découverte minutieuse du travail sur le bois venu donner une suite généreuse, comme un complément, à sa maîtrise de la pierre. C’est par la réalisation de bas-reliefs qu’il accédera à un savoir-faire sur cette matière vivante et réactive. Plus tard il fera connaissance du sculpteur burkinabé Bomavé Konaté qui l’initiera à l’usage de l’herminette africaine qu’il intégrera dans « sa panoplie d’outils comme prolongement de la main ». L’outil encore et toujours, même d’origine lointaine et inattendue.

En Dauphiné, l’immersion dans l’univers des signes. Au milieu des années 80, un événement, s’est avéré déterminant pour ce sculpteur toujours en recherche de savoir-faire comme à son savoir être. Alors qu’il éprouvait déjà une réelle passion pour le graphisme et le dessin de lettres, passion jusque-là peu exploitée, la rencontre avec Jean-Claude Lamborot, maître graveur, a produit en lui une forte impulsion. Sa propre intention primitive, telle que définie plus avant, est venue s’enrichir de disciplines nouvelles ayant trait à la calligraphie et lui offrant des horizons inexplorés. Par sa fréquentation d’autres maîtres en la matière et le suivi de formations, Pierre Bourgain a pu à s’affirmer comme gaveur lapidaire et comme enseignant dans un centre de formation.

Comme un aboutissement à sa quête de sens, c’est par son entrée dans l’univers des signes qu’il a découvert « la transversalité par laquelle se transcendent les cultures et les époques ». Par sa prise de conscience aujourd’hui de « l’universalité de l’expression plastique » Pierre Bourgain montre combien il a pu intégrer le discours humaniste dans son activité artistique.

Roland REYNE**. 26 Juillet 2023

* Michel JACQ-HELGOUALC’H, Archéologue spécialiste du Siam et de l’art khmer.

** Roland REYNE est l’auteur de quatre romans dans les lesquels il s’efforce de mettre en valeur la dimension humaniste de ses personnages.
www.rolandreyne-sesam.com – contact : roland.reyne2@gmail.com


Du geste à la forme, les sculptures de Pierre Bourgain offrent au regard une écriture de la matière. La ligne est fluide et fend l’espace pour s’en détacher et révéler tout l’équilibre de ses volumes. Une certaine simplicité se dégage de ses productions dissimulant ainsi la difficulté de la pratique sculpturale. La complexité se fait oublier dans le style épuré et équilibré.

Il n’y a là aucune exagération, aucun prérequis n’est imposé, la voie est libre.

Le récit de chacune de ses sculptures est contenu dans la matière, il appartient à chacun – qui prendra le temps d’y poser un regard – de se faire le sien.

Célia POUSSIN – Diplômée en histoire de l’art et médiatrice culturelle